Adieu Merkozy, bonjour Homer |
LE MONDE | 08.05.2012 à 14h38 • Mis à jour le 08.05.2012 à 18h19 |
Quand on a entendu Vladimir Poutine expliquer qu'un débat public entre candidats (dont lui) pendant une campagne électorale est parfaitement inutile car ce qui compte, "ce n'est pas le débat, mais le résultat" ; quand on voit la Chine, superpuissance en devenir, gérer dans l'opacité la plus totale deux affaires explosives, laissant l'administration Obama se débattre dans des explications fumeuses ; quand on voit la Grèce, berceau de la démocratie, suspendue au charisme du jeune leader d'un obscur parti d'extrême gauche qui a obtenu près de 17 %, soit 10 points de plus que le parti néonazi... Alors, on comprend mieux ce tweet de l'ambassadeur des Etats-Unis à Paris, Charles Rivkin, envoyé le dimanche 6 mai au soir juste après l'annonce de la victoire de François Hollande au second tour du scrutin présidentiel : "Félicitations aux Français pour cette admirable élection. La France reste un modèle pour tous les peuples qui aspirent à la démocratie." Y aurait-il, dans ce satisfecit, comme un soupçon de paternalisme ? Pas forcément. Les Américains eux-mêmes s'interrogent ces temps-ci sur les dysfonctionnements de leur démocratie, les blocages institutionnels, le poison de l'argent qui coule à flots dans les campagnes électorales. LA VICTOIRE DU POLITIQUE Si les Français n'étaient pas les champions toutes catégories de l'autoflagellation, ils se diraient qu'en effet, cette présidentielle 2012 a été un remarquable succès. Parce que lorsque, à deux reprises en deux semaines, en pleine crise économique, plus de 80 % des électeurs se déplacent pour aller mettre un bulletin dans l'urne, à l'issue d'une campagne menée sur des sujets difficiles et des batailles de chiffres, c'est un signe de très bonne santé démocratique. La mobilisation d'une bonne partie de ces mêmes électeurs au moment de la primaire socialiste, à l'automne 2011, avait déjà émerveillé. Puis des émissions de télévision interminables réunissant les candidats au premier tour ont battu des records d'audience. La participation importante aux grands meetings a donné l'image d'un électorat motivé et engagé. Le summum a été atteint par les 18 millions de téléspectateurs qui, le 2 mai, ont suivis trois heures de face-à-face télévisé des deux finalistes, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Les médias étrangers, et surtout les médias européens, ont eux aussi suivi ce débat, qu'ils ont "tweeté" et "live-blogué" sur les réseaux sociaux et sur leurs sites Internet comme jamais auparavant. Les politiques européens, stupéfaits, se sont pris à rêver d'avoir droit, eux aussi, chez eux, à trois heures de télévision en prime time sans que le public décroche : impensable ! Que nous disent cette élection et l'intérêt qu'elle a suscité, en France et à l'extérieur ? D'abord que la démocratie se porte bien et qu'elle reste un marqueur fort de l'identité européenne - y compris dans ce qu'elle nous renvoie, parfois, de déplaisant. L'extrémisme, aujourd'hui en Europe, s'exprime par les urnes, et c'est plus sain que par la violence ou par la passivité. C'est la victoire du politique. Ensuite, que ce scrutin présidentiel français a été, bien au-delà des frontières de l'Hexagone, une élection européenne, par l'écho qu'il a rencontré et par l'enjeu qu'il représentait pour l'Union européenne. Pourquoi ? Un autre élément fort de l'identité européenne, outre la démocratie et l'Etat de droit, est son modèle social, fondé sur la solidarité. Ce modèle peut connaître des variantes, suivant qu'il est affiné par des régimes conservateurs, libéraux ou sociaux-démocrates, mais il est, fondamentalement, commun aux pays de l'Union européenne. HOLLANDE HÉRAULT DE L'EUROPE DE L'ESPOIR Aujourd'hui, le modèle social européen est violemment mis à l'épreuve, à la fois par le choc de la mondialisation et les dislocations économiques qu'elle a engendrées et par la crise de la dette. C'est pour cela que, entre les deux tours, l'élection présidentielle française est devenue un scrutin européen : le premier tour a révélé un rejet, par à peu près 30 % de l'électorat, de règles imposées de l'extérieur, par l'Europe ou par la mondialisation. Au second tour, face au président sortant, qui incarnait, malgré ses efforts tardifs pour s'en démarquer, l'Europe de l'austérité et l'Europe "Merkozy", François Hollande s'est transformé en héraut de l'Europe de l'espoir, celui qui peut sauver le modèle social européen par la croissance. Soudain, au moment où Espagnols, Italiens et Grecs vivent l'impitoyable quotidien des réductions budgétaires, un candidat français a cristallisé une alternative possible, une lumière au bout du tunnel. Peu importe que cet espoir repose sur un gigantesque malentendu : beaucoup, en France, pensent que la "croissance", remède miracle proposé par le candidat Hollande, nous permettra d'échapper aux réformes structurelles si douloureusement mises en œuvre chez nos voisins. Il appartiendra au président Hollande de lever ce malentendu - lui et son équipe savent bien qu'un éventuel "pacte de croissance" ne nous dispense pas du pacte budgétaire pour maîtriser les déficits, et donc la dette, du pays. Comme l'a rappelé Laurent Fabius dès le lendemain de l'élection, "chaque jour qui passe, la France doit emprunter 500 millions d'euros". L'élection de François Hollande n'a pas changé cette équation-là. Mais ce qui a remis la France en première ligne dans le débat sur l'avenir de l'Europe, c'est l'idée, défendue par M. Hollande, que le modèle européen de solidarité et de protection de l'environnement n'est pas incompatible avec les ajustements qu'imposent la mondialisation, la compétition des économies émergentes et le court-termisme des marchés financiers. |
Sylvie Kauffmann |
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