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RÔLE DE LA RAISON.  L'entendement juge, mais la raison raisonne. Or, conformément à la doctrine d'Aristote, Kant conçoit le raisonnement de manière syllogistique : un concept de l'entendement étant donné, la raison cherche un moyen-terme, c'est-à-dire un autre concept qui, pris dans toute son extension, conditionne l'attribution du premier concept à un objet (ainsi homme conditionne l'attribution de « mortel » à Caïus). De ce (29 | 30) point de vue, c'est donc bien par rapport aux concepts de l'entendement que la raison exerce son génie propre : « La raison arrive à une connaissance au moyen d'actes de l'entendement qui constituent une série de conditions [1]  . »
Mais précisément, l'existence de concepts a priori de l'entendement (catégories) pose un problème particulier. Les catégories s'appliquent à tous les objets de l'expérience possible ; pour trouver un moyen terme qui fonde l'attribution du concept a priori à tous les objets, la raison ne peut plus s'adresser à un autre concept (même a priori), mais doit former des Idées qui dépassent la possibilité de l'expérience. C'est ainsi que la raison est induite d'une certaine manière, dans son propre intérêt spéculatif, à former des Idées transcendantales. Celles-ci représentent la totalité des conditions sous lesquelles on attribue une catégorie de relation aux objets de l'expérience possible ; elles représentent donc quelque chose d'inconditionnel
[2]  . Ainsi le sujet absolu (Âme) par rapport à la catégorie de substance, la série complète (Monde) par rapport à la catégorie de causalité, le tout de la réalité (Dieu comme ens realissimum) par rapport à la communauté.

Là encore on voit que la raison joue un rôle qu'elle est seule capable de remplir ; mais ce rôle, elle est déterminée à le jouer. « La raison n'a proprement pour objet que l'entendement et son emploi conforme à sa fin [3]  . » Subjectivement, les Idées de la raison se rapportent aux concepts de l'entendement pour leur conférer à la fois un maximum d'unité et d'extension systématiques. Sans (30 | 31) la raison, l'entendement ne réunirait pas en un tout l'ensemble de ses démarches concernant un objet. C'est pourquoi la raison, au moment même où elle abandonne à l'entendement le pouvoir législateur dans l'intérêt de la connaissance, n'en garde pas moins un rôle, ou plutôt reçoit en retour, de l'entendement lui-même, une fonction originale : constituer des foyers idéaux hors de l'expérience, vers lesquels convergent les concepts de l'entendement (maximum d'unité) ; former des horizons supérieurs qui réfléchissent et embrassent les concepts de l'entendement (maximum d'extension) [4]  . « La raison pure abandonne tout à l'entendement, qui s'applique immédiatement aux objets de l'intuition ou plutôt à la synthèse de ces objets dans l'imagination. Elle se réserve seulement l'absolue totalité dans l'usage des concepts de l'entendement, et cherche à pousser l'unité synthétique conçue dans la catégorie jusqu'à l'inconditionnel absolu [5] . »

Objectivement aussi, la raison a un rôle. Car l'entendement ne peut légiférer sur les phénomènes que du point de vue de la forme. Or, supposons que les phénomènes soient formellement soumis à l'unité de la synthèse, mais qu'ils présentent du point de vue de leur matière une diversité radicale : là encore, l'entendement n'aurait plus l'occasion d'exercer son pouvoir (cette fois : l'occasion matérielle). « Il n'y aurait même plus de concept de genre, ou de concept général, et par conséquent plus d'entendement [6]  . » Il faut donc que, non seulement les phénomènes du point de vue de la forme soient soumis aux catégories, mais que les phénomènes du point (31 | 32) de vue de la matière correspondent ou symbolisent avec les Idées de la raison. Une harmonie, une finalité se réintroduisent à ce niveau. Mais on voit que, ici, l'harmonie est simplement postulée entre la matière des phénomènes et les Idées de la raison. Il n'est pas question de dire, en effet, que la raison légifère sur la matière des phénomènes. Elle doit supposer une unité systématique de la Nature, elle doit poser cette unité comme problème ou comme limite, et régler toutes ses démarches sur l'idée de cette limite à l’infini. La raison est donc cette faculté qui dit : tout se passe comme si... Elle n'affirme nullement que la totalité et l'unité des conditions soient données dans l'objet, mais seulement que les objets nous permettent de tendre à cette unité systématique comme au plus haut degré de notre connaissance. Ainsi les phénomènes dans leur matière correspondent bien avec les Idées, et les Idées avec la matière des phénomènes ; mais, au lieu d'une soumission nécessaire et déterminée, nous n'avons ici qu'une correspondance, un accord indéterminé. L'Idée n'est pas une fiction dit Kant ; elle a une valeur objective, elle possède un objet ; mais cet objet lui-même est « indéterminé », « problématique ». Indéterminée dans son objet, déterminable par analogie avec les objets de l'expérience, portant l'idéal d'une détermination infinie par rapport aux concepts de l'entendement : tel sont les trois aspects de l'Idée. La raison ne se contente donc pas de raisonner par rapport aux concepts de l'entendement, elle « symbolise » par rapport à la matière des phénomènes [7]  .


[1]  《純粹理性批判》,Dialectique, « des idées transcendantales ».

[2]  同上。

[3]  《純粹理性批判》,Dialectique, appendice, « de l'usage régulateurs des idées ».

[4]  同上。

[5]  《純粹理性批判》,Dialectique, « des idées transcendantales ».

[6]  《純粹理性批判》,Dialectique, appendice, « de l'usage régulateurs des idées ».

[7]  La théorie du symbolisme n'apparaîtra que dans la Critique du Jugement. Mais « l'analogie », telle qu'elle est décrite dans « l'appendice à la Dialectique » de la Critique de la Raison pure, est la première ébauche de cette théorie.

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