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Utoya : portrait d'une génération traumatisée
M le magazine du Monde | 07.07.2012 à 18h48 • Mis à jour le 07.07.2012 à 18h48

CET ÉTÉ, IL N'Y AURA PAS DE RASSEMBLEMENT des jeunes travaillistes de Norvège sur l'île d'Utoya. En tout cas, pas d'université d'été. Les événements tragiques du 22 juillet 2011 sont bien trop proches. Ce jour-là, Anders Behring Breivik abat soixante-neuf jeunes militants, deux heures après avoir tué huit personnes dans l'explosion d'une bombe dans le quartier des ministères à Oslo. Lors de son procès qui s'est achevé le 22 juin, l'extrémiste norvégien a répété qu'en s'en prenant à ce camp d'été de la Ligue des jeunes travaillistes (AUF), il avait procédé "à une attaque préventive" contre ceux qui, plus tard, "auraient trahi la Norvège". Car Utoya n'est pas n'importe quelle île. C'est ici que des générations de jeunes sociaux-démocrates se sont succédé, à l'instar de l'actuel premier ministre Jens Stoltenberg. En Norvège, comme dans les autres pays nordiques, les responsables politiques ne sortent pas des grandes écoles. Ils grandissent au sein des fédérations de jeunes des partis, quel que soit le bord. Ils y font carrière, depuis leur plus jeune âge. Utoya, c'était tout cela. Le lieu où la politique fait rêver, où les espoirs prennent forme. On y trouve pêle-mêle une grande part d'utopie, d'enthousiasme, de naïveté, d'effronterie, de passion. En Europe du Nord, ces fédérations de jeunes ont traditionnellement voix au chapitre. On les sait plus radicales que leurs aînés. Les grands médias les écoutent, les publient, les invitent. Sachant la place prépondérante qu'occupe le Parti travailliste (AP) dans ce pays, il y a donc fort à parier que, dans vingt ou trente ans, bon nombre de dirigeants norvégiens auront assisté au massacre d'Utoya. Feront partie des cinq cents survivants. Que garderont-ils de cet épisode ? Quelle fraternité de la terreur en sortira-t-il ? Les survivants du 22 juillet 2011 seront-ils des politiciens d'un autre genre ? C'est cette génération que la photographe norvégienne Andrea Gjestvang a rencontrée. Livrant des portraits et des témoignages saisissants de ceux qui ont vécu l'horreur et qui lui ont survécu.

Ce procès, les jeunes d'Utoya l'ont voulu. Pour essayer de comprendre. Pour s'assurer que l'Etat de droit l'emporte face à un technocrate du crime de masse. Il leur fallait pour cela un procès exemplaire, en dépit des défis. Certes, dix semaines d'une couverture médiatique colossale ont donné à Breivik la tribune qu'il souhaitait. Eternel dilemme en démocratie... Mais filtrer les échos de la salle 250 du tribunal aurait à l'inverse fait la joie des adeptes des théories de la conspiration. Tout au long du procès, la place des victimes a été évoquée. Les morts, les blessés et les autres. Ceux présents au moment du massacre, et les parents, amis, proches qui ont vécu le drame par procuration. Ceux de l'île sont désormais une catégorie à part.

LE PROCÈS A PERMIS À CETTE GÉNÉRATION FAUCHÉE D'EXISTER. Quelques minutes. Dégageant une tension à la limite du supportable. Le 11 mai, le frère d'une victime s'est levé, hurlant de dés-espoir, et a jeté une chaussure en direction de Breivik, touchant son avocate. C'était l'un des jours – nombreux – où le procès était consacré aux rapports d'autopsie. C'était long, usant pour les nerfs. Selon un rituel immuable, douze dossiers ont été passés en revue. Projection d'une photo de l'endroit où la victime avait été retrouvée, pas de photo du corps, la médecin légiste expliquant, baguette à l'appui, l'axe de pénétration des balles sur un mannequin en mousse. Un résumé du rapport en quelques lignes, puis la photo de la victime de son vivant. Souriant. Et l'avocat des parents de chaque victime a eu quelques minutes pour résumer sa vie et ses aspirations. Celles de Sverre, Victoria, Havard, Diderik, Tamta, Kevin, Karin, Rafal, Andrine et les autres. Andrine s'intéressait à l'éducation, "pour que chacun ait les mêmes chances". Rafal voulait devenir dentiste. La famille de Tamta a fait dire : "Ses rêves ont été enterrés profondément dans la terre." Quant à l'avocate représentant la famille de Havard, elle a lu, sur une photo du jeune homme à Utoya avant le drame : "Vous voyez la joie qu'il exprime d'être sur l'île. Il voulait travailler dur pour la communauté."

Les survivants, blessés ou non, qu'Andrea Gjestvang a photographiés, expriment la même diversité. Parfois la détermination, parfois le désarroi. Ou le fatalisme, la distance, la chaleur, l'optimisme. Tous ne poursuivront pas leur engagement politique. Certains ne pourront pas remettre les pieds à Utoya. Certains trouvent des mots, écrivent. Beaucoup se sont tatoués. D'autres ont été renforcés dans leurs convictions. Quelques-uns veulent que Breivik soit considéré comme fou, irresponsable. Cela leur permettra d'appréhender plus facilement l'apocalypse qu'ils ont connue sur l'île. Un accident. Quelque chose de l'ordre de la catastrophe naturelle. L'issue judiciaire sera connue le 24 août. Celui qui a demandé l'acquittement pour avoir "agi au nom de la légitime défense pour empêcher l'islamisation de son pays" sera-t-il considéré comme responsable de ses actes ? Sera-t-il condamné à une peine de prison ou à l'internement psychiatrique ? Dans les deux cas, il sera enfermé pour la plus grande partie de sa vie – peut-être toute sa vie – dans la prison d'Ila, à 15 kilomètres au nord-ouest du Palais de justice d'Oslo, où il est déjà à l'isolement depuis fin juillet 2011.

Quel que soit le verdict, les rescapés d'Utoya devront, eux, se frotter à une réalité plus prosaïque. La vision idéologique de Breivik est partagée par des dizaines de milliers d'individus dans une Europe qui se durcit. Le premier ministre norvégien avait lancé, au soir de l'attentat, que la réponse du pays serait plus de démocratie, plus d'ouverture. Sans naïveté pour autant. Des mots bafoués par la décision d'expulser des centaines de demandeurs d'asile éthiopiens déboutés. Depuis 2008, le parti mène une politique plutôt dure sur l'immigration, pour éviter de perdre trop de voix au profit du Parti du progrès (FrP), la formation populiste anti-immigrés qui avait obtenu 22,9 % aux législatives de 2009, avant de baisser presque de moitié depuis plus d'un an. Critiqué de toutes parts, le Parti travailliste est lui-même divisé. Parmi les plus indignés, on trouve les jeunesses sociales-démocrates, des survivants du massacre du 22 juillet. La génération Utoya.

Voir le portfolio : Un an après, les survivants d'Utoya témoignent
Par Olivier Truc. Photos : Andrea Gjestvang



Beaucoup de jeunes se sont fait tatouer après le 22 juillet. Pour la plupart, c'est une façon de se rappeler aussi les bons moments passés à Utoya. | Andrea Gjestvang/Moment

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