以下是法國《世界報》的一篇「很長」的紀念文,不只是報死訊消息而已,可
見這一篇「很長」的紀念文是早就準備好的抽屜文,當晚(法國時間)就用上

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Le cinéaste iranien Abbas Kiarostami est mort à l’âge de 76 ans

LE MONDE | 04.07.2016 à 21h49 • Mis à jour le 04.07.2016 à 22h50 |

Par Jacques Mandelbaum

C’est une perte majeure, celle d’un immense artiste – par
ailleurs photographe, poète et peintre – qui aura marqué
d’une empreinte indélébile l’histoire du cinéma mondial. Le
réalisateur iranien Abbas Kiarostami est mort à 76 ans, a-t-on
appris lundi 4 juillet, des suites d’un cancer. Selon l’agence de
presse ISNA, le réalisateur, dont l’état de santé s’était dégradé,
avait quitté Téhéran la semaine dernière pour subir un traite-
ment en France, après avoir été opéré à la mi-mars dans la
capitale iranienne.

La vie s’arrête donc, y compris pour l’auteur d’Et la vie conti-
nue
. Dans ce film magnifique de 1992, un cinéaste de Téhéran,
double de l’auteur, revenait en compagnie de son fils sur les
lieux du tournage d’un film précédent, où venait de se pro-
duire un tremblement de terre meurtrier, à la recherche de
survivants parmi les enfants qui y avaient participé.

Cette quête de la vie dans un paysage de mort, cette aspiration
humaniste sous le carcan qui oppresse, fut en vérité l’admira-
ble constante de l’œuvre d’Abbas Kiarostami. Une œuvre me-
née avec courage sous les fourches caudines de la censure is-
lamique, jusqu’à épuisement de l’auteur, parti tourner sous
d’autres cieux lorsque le régime durcit son autorité.

L’instigateur d’un nouveau cinéma iranien

Né à Téhéran le 22 juin 1940, formé aux Beaux-Arts, réalisa-
teur de films publicitaires, Abbas Kiarostami participe en 1969
à la création du département cinéma de l’Institut pour le déve-
loppement intellectuel des enfants et des jeunes adultes (le
Kanoun), dans le cadre duquel il va réaliser de nombreux
courts-métrages. Ce sont des films à vocation civique et péda-
gogique, d’emblée sublimés par le sens effarant de la mise en
scène qui s’y exprime. Le tout premier, réalisé en 1970 et in-
titulé Le Pain et la Rue, annonce le génie de Kiarostami à
transformer un scénario de trois lignes en un monument de
comédie humaine, ipso facto en morceau d’anthologie du ci-
néma. Ici, l’histoire d’un garçonnet cheminant par les ruelles
pour ramener le pain du déjeuner à la maison, quand un chien
menaçant, soudain, lui barre la route.

En 1979, commencé sous le régime du Chah, il réalise Cas n° 1,
cas n° 2
. Un exemple de dilemme moral comme il les affec-
tionne (des élèves exclus de la classe pour chahut, puis la dé-
nonciation par l’un d’eux du coupable) qu’il soumet à l’appré-
ciation de diverses personnalités dans ce qui est devenu du-
rant le tournage la République islamique d’Iran. Beau panel
utopique, qui réunit un communiste, un rabbin, des artistes,
ainsi que l’ayatollah Sadeq Khalkhali, homme affable qui se
montre l’un des plus libéraux envers les enfants. C’est le même
qui, au titre de chef du Tribunal révolutionnaire, fera pendre
haut et court des centaines d’opposants au régime. Le film dis-
paraît rapidement de la circulation.

Le Kanoun n’en devient pas moins, sous l’impulsion de Kia-
rostami, le havre d’une relative liberté artistique en même
temps que le laboratoire d’un nouveau cinéma iranien qui
émerge sur la scène internationale. L’Asie, en effet, prend à
cette époque le relais des nouvelles vagues qui refluent partout
ailleurs. De Taïwan (Hou Hsiao-hsien), de Hongkong (Wong
Kar-waï) et donc aussi d’Iran, renaissent des propositions
esthétiques stimulantes. Etonnamment, sous un régime auto-
ritaire et iconoclaste que tout semble vouer à devenir un no
man’s land cinéphilique apparaît un courant qui, se fortifiant
des interdits de représentation qu’on fait peser sur lui, requa-
lifie à nouveaux frais, par son mode opératoire et sa vive pré-
occupation sociale, le néoréalisme italien.

L’enfance comme motif central

Avant que les cinéphiles ne découvrent sur la scène des plus
grands festivals cette silhouette qui leur deviendra familière –
lunettes fumées, élégance discrète, humour fin, sourire désar-
mant – on peut dater le moment de sa découverte en France.
C’était en mars 1990, avec la sortie en salles de son quatrième
long-métrage, Où est la maison de mon ami ? (1987). L’his-
toire simple, et néanmoins épique, d’un garçonnet qui a chipé
le cahier de son ami, et cherche, de village en village, à le lui
rendre, faute de quoi il pourrait se faire renvoyer de l’école.
Le film, remarquable, tend vers le conte et condense l’esprit
du cinéma de Kiarostami : l’enfance comme motif central, la
fraîcheur revigorante du regard porté sur le monde, le
dépouillement de l’argument allant de pair avec la complexité
de la structure narrative.

Mais à peine découvert, le cinéaste change déjà de braquet. Il
signe en 1990, avec Close up le premier d’une série de chefs-
d’œuvre qui le consacre comme l’un des plus grands cinéastes
du monde. L’utilisation du document comme source d’une
fiction indécidable est renforcée, le vertige baroque creusé.
Le film reconstitue la trame d’un fait divers, avec dans son
propre rôle le principal protagoniste : Hossein Sabzian, un
imposteur cinéphile qui se fait passer pour le célèbre réalisa-
teur Mohsen Makhmalbaf. Kiarostami a également eu la pos-
sibilité de filmer le vrai procès de Sabzian, dont le verdict est
infléchi par la présence des caméras. Ici donc, l’entremêle-
ment entre la réalité et la fiction, la réflexion sur la passion du
cinéma et son rapport à la vraie vie atteignent un point de fu-
sion et de jouissance étourdissant.

A 50 ans, le cinéaste va vivre la décennie la plus fertile de sa
carrière. Et la vie continue (1992) et Au Travers des oliviers
(1994) suivent Où est la maison de mon ami ?, chacun ren-
voyant à un élément, réel ou fictionnel, qui touche au précé-
dent, la trilogie tissant une trame fascinante où la figure du
cinéaste et le processus du tournage se trouvent chaque fois
remis en abyme selon le principe des poupées russes. Le mi-
racle en l’espèce est que cette construction retorse est conçue
pour redonner droit à l’accident, à la pure présence, à la vie
débarrassée des scories de l’apprêt.

Un « code » Kiarostami

En 1997, arrive ce qui devait arriver : Le Goût de la cerise
(1997) remporte la Palme d’or au Festival de Cannes. L’his-
toire d’un type nommé « monsieur Badii », dont l’idée fixe est
de se suicider, et donc de trouver une main charitable pour
jeter de la terre dans la fosse où il escompte terminer ses
jours. Sillonnant les environs de Téhéran dans un antique
4 × 4, ce singulier pionnier du covoiturage propose le marché
à chaque passager qu’il embarque. Deux ans plus tard, effleu-
rant avec toujours autant de grâce la dialectique de la mort et
de la vie, Kiarostami donne Et le vent nous emportera (1999),
une sorte d’En attendant Godot installé dans un village du
Kurdistan, où un anthropologue qui attend de pouvoir obser-
ver les rites funéraires locaux finit par sauver la vie d’un ouv-
rier prisonnier d’un trou.

A cette date, un « code » Kiarostami s’est imposé à tous les
cinéphiles. Routes serpentines accrochées aux vallons, pay-
sages somptueux traversés de voitures-caméras, panorami-
ques amples et langoureux, récits tragiques et drôles, délibéré-
ment indéterminés. Une croyance s’en dégage : un film ne sera
jamais que le début d’un chemin qui s’achève dans l’esprit du
spectateur. Artiste de la dépossession comme Kafka avait ima-
giné un artiste du jeûne, Kiarostami crée en un mot un cinéma
qui est une épreuve de la liberté dans un système qui n’a de
cesse de la contraindre.

Cette inclination le conduira plus loin dans la remise en cause
des prérogatives de l’auteur et de la mise en scène. Une nou-
velle période va ainsi s’ouvrir, plus expérimentale, qui privi-
légie le dispositif, manière de laisser le monde entrer à plein
dans le cadre plutôt que de le subjuguer. Force est de consta-
ter que cette inflexion a lieu au moment où, en Iran, la lutte
entre les forces réformatrices et conservatrices est en train de
tourner à l’avantage des secondes. Après vingt ans de régime
islamique, dont dix consacrées à attaquer et à interdire l’ar-
tiste célébré en Occident, une possible lassitude a peut-être
gagné Kiarostami, dont les deux derniers films n’évoquent
sans doute pas pour rien le motif de l’enterrement vivant.

Ten (2002) inaugure donc une série de films dont le minima-
lisme va aller s’accentuant (Five, Shirin…), estompant de fait
la présence de ce maître du cinéma sur la scène internationale.
Le premier titre reste le plus exaltant : une séduisante conduc-
trice dans la circulation de Téhéran, deux caméras installées
sur la tableau de bord, dix séquences numérotées de 10 à 1,
correspondant chacune à un personnage qui monte à bord.
Une société réelle, ayant soif de démocratie, y bout d’impati-
ence. On connaît la suite. Election de Mahmoud Ahmadinejad comme président en 2005, répression sanglante des manifes-
tants lors de sa réélection en 2009.

« Je ne renoncerai jamais à mon métier »

Kiarostami change alors de cap : le tournage à l’étranger, pos-
siblement avec vedette. Au fond de lui-même, y croît-il vrai-
ment, lui qui avait naguère défendu la nécessité pour le ciné-
aste de demeurer sur son terreau ? Copie conforme (2010),
variation rossellinienne avec Juliette Binoche, puis Like
Someone in Love
(2012), respectivement tournés en Italie et
au Japon, confirmeraient ce doute, sans le moindre déshon-
neur. Son ultime tournage, resté inachevé en raison de la dé-
claration brutale de sa maladie, aura eu lieu en Chine. Kiaros-
tami aurait d’ailleurs pu, de longue date, s’installer à l’étran-
ger. Il s’y est toujours refusé, car il lui importait de tourner
dans son pays, auquel le rattachait, spirituellement et plasti-
quement, toute la tradition poétique et picturale persane, très
sensible dans ses films.

Ce souci justifiait le refus courtois qu’il opposait aux sollicita-
tions politiques des journalistes occidentaux. Mais en juillet
2009, dans les jours les plus noirs de la répression, il n’y tint
plus. Déclarant, alors qu’on le retrouvait en Toscane sur le
tournage de Copie conforme : « La situation politique est telle
que la possibilité même d’y travailler paraît très compromise.
Et je ne sais pas, franchement, si ça sera possible à l’avenir.
Nous sommes ici informés tous les jours, par Internet, des
événements qui ont lieu en Iran. Ce qui nous parvient de la
violence de la répression donne l’impression qu’une page
vient d’être tournée, sans retour. Pour ce qui me concerne,
tout ce que je sais, c’est que je veux retourner à Téhéran, que
mon désir est de tourner des films dans mon pays. J’ai été
jusqu’à présent un citoyen très conciliant, dans la mesure où
l’on ne montre plus mes films en Iran depuis douze ans. Si la
situation devait encore empirer, si l’on me privait de mes
droits, une chose est certaine, c’est que je ne renoncerai
jamais à mon métier. »

Poignante déclaration d’un créateur épuisé par le combat
contre l’obscurantisme. Comment, s’agissant de sa propre
mort, ne pas songer à l’épilogue sublime, une des plus belles
fins de l’histoire du cinéma, du Goût de la cerise ? A ce mon-
sieur Badii, allongé dans sa fosse par une nuit orageuse, à sa
solitude infinie et silencieuse sous le ciel sombre et déchiré, à
l’écran noir qui le fait durablement disparaître, avant ce re-
tour inopiné du jour et du mort dans une prise vidéo d’ama-
teur et phosphorescente de la fin du tournage. On y voit Badii
fumer une cigarette avec Kiarostami, on y accueille la lumière
frémissante d’une aube nouvelle, on y suit des soldats jouer
comme des enfants, on y entend s’élever un bouleversant
instrumental du funèbre Saint James Infirmary. Ebloui,
sonné, on n’y comprend plus rien : « twist » conceptuel ?
Résurrection de Badii ? Pied de nez à la censure religieuse
qui proscrit le suicide ? Du moins voit-on que la vie, bel et
bien, continue.
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