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Philippe Garrel : « J'ai du mal à me soustraire à la beauté extérieure »
LE MONDE | 03.12.2013 à 10h33 • Mis à jour le 03.12.2013 à 15h06 |Propos recueillis par Jacques Mandelbaum et Isabelle Regnier


 
La rencontre a lieu à la table d'un café parisien sur le coup de 9 h 30, alors que Philippe Garrel, réalisateur de La Jalousie, déploie en préambule un luxe inhabituel de précautions destinées à améliorer l'exercice du question-réponse… Cette exigence pourrait sembler contredire une pratique du cinéma qui a toujours visé à capturer une vérité dès la première prise. Mais il n'en est rien. Pour pouvoir tout miser sur la première prise, insiste le cinéaste, il faut avoir effectué un travail considérable de répétition en amont.
Votre désir de tourner avec des gens qui vous sont proches, avec votrefamille elle-même, semble inaltérable…
Mais oui, ça simplifie les choses. C'est comme une convocation de la vie réelle. Mon père a été mon meilleur ami et mon fils est aujourd'hui un de mes meilleurs amis. Evidemment, cela implique un certain type de sujets, on ne peut pas traiterde l'amour physique, mais de l'amour mystique, de l'amour fou, oui.
Ce film, dans lequel votre fils Louis joue votre père Maurice, a-t-il été pour vous une manière de terminer le deuil de votre père ?
J'ai eu une relation très forte avec mon père. C'est un homme avec lequel je ne me suis pas disputé une seule fois. Il me donnait toujours son avis sur mes scénarios. Quand il est mort, j'ai pensé que je ne pourrais plus réaliser. J'avais très peur de ça. Et puis j'ai voulu, en effet, que mon fils Louis joue mon père. Deux ans avant de mourir, il nous a raconté ce qu'il a fait durant la seconde guerre, il a accompagné le débarquement américain en Méditerranée. J'ai eu l'idée de filmer cela, et puis ça s'est révélé insoluble. Heureusement qu'il y a eu La Jalousie, sur un sujet de Caroline Deruas, la mère de ma dernière fille. Mais aussi de Marc Cholodenko et d'Arlette Langmann.
Cette imbrication, parfois vertigineuse, de l'intime et de la fiction, n'est-elle pas troublante pour vous ou pour les acteurs, particulièrement votre fils ?
Je ne le pense pas. Il y a un côté pratique. Comme avec des trapézistes. Chacun fait en sorte de ne pas se casser la figure. De manière générale, notre famille, qui compte beaucoup d'artistes, fonctionne avec des règles assez strictes. Chacun peut dire, par exemple, que le reste de la famille n'a pas le droit de voir tel ou tel film auquel il a participé.
Beaucoup de choses dans le film semblent indéterminées : le lieu, le temps, et ce magnifique noir et blanc qui renvoie à l'image des années 1960…
C'est un noir et blanc qu'on appelle charbonneux. Les contours sont floutés, l'image contrastée. Dans le cinéma muet, les coiffures avaient souvent un halo noir au lieu d'un trait qui les découpe dans l'espace. Ce défaut a été imité et il est devenu un style à part entière. Ce n'est pas par hasard que je tourne avec Willy Kurant, qui a été le chef opérateur de Godard, Skolimowski ou Pialat : je connais sa photo par cœur. C'est mon côté formaliste. Certains cinéastes, comme Fassbinder, sont indifférents à cet aspect. Moi, j'ai du mal à me soustraire à la beauté extérieure.
Vous n'êtes pas non plus indifférent aux belles voitures, semble-t-il, si on regarde attentivement vos films…
C'est vrai. Je n'ai pas le goût du foot, mais une belle carrosserie peut me touchervivement. J'aurais aussi bien pu, je crois, être peintre ou couturier. Je me considère comme un disciple de la Nouvelle Vague, mais j'ai appris à titrepersonnel le cinéma dans les galeries du Louvre, avec Georges de La Tour, le Caravage, Ingres.
En même temps, il y a une grande économie de moyens. Comment avez-vous tourné ?
Comme je tourne toujours dans l'ordre chronologique, ce qui implique de nombreux déplacements, j'essaie de regrouper les choses dans l'espace. Nous avons tout tourné à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), dans un immeuble en friche, où nous avons fabriqué les appartements dont nous avions besoin. Le parc est en bas de l'immeuble, le théâtre à deux pas. Les rushs sont développés au fur et à mesure, le monteur travaille en même temps que nous tournons. Lorsque je termine le tournage, le montage est terminé.
Ces intérieurs modestes, aux murs blancs, rappellent ceux qu'on voyait dans les films de Godard des années 1960…
J'ai tourné mes deux derniers films dans un milieu bourgeois, et j'ai eu le sentiment que ça n'allait pas. On regarde vivre des gens dans un confort qu'on n'a pas, c'est frelaté. Je trouve qu'on s'identifie mieux aux gens du peuple ou à des personnages qui galèrent, comme, par exemple, le Llewyn Davis des frères Coen.
Vous êtes vous-même un artiste marginal, y compris dans le cinéma d'auteur français. Etes-vous sensible à la crise qui frappe ce cinéma ?
Depuis la crise européenne de 2011, tout le monde doit tourner avec des budgets divisés par deux. Nous jouons ici sur une échelle très différente de celle d'Hollywood, qui sort ses films dans 53 pays en même temps. La seule chance du cinéma français est donc de proposer des prototypes. Moi, j'essaie d'être un industriel cohérent, en sachant que je mets un point d'honneur à ne jamais tourner en dessous du tarif syndical. Je tourne avec une équipe âgée, très expérimentée, mais réduite. Je fais aussi souvent le choix du noir et blanc, qui permet de magnifier un environnement très prosaïque, de se dispenser de maquillage, de décor, de costumier. Tout y est égalisé dans l'imaginaire et tout y revient moins cher.
Quel type de relation cela implique-t-il avec vos producteurs ?
J'inaugure avec La Jalousie une collaboration avec Saïd Ben Saïd, qui tourne avec des réalisateurs hollywoodiens. Le deal, c'est qu'il me laisse complètement libre, mais sous réserve que je tourne vite. Et sans stars.
Vous avez pourtant tourné avec des stars, Catherine Deneuve dans Le Vent de la nuit, Monica Bellucci dans Un été brûlant
Oui, ce sont mes deux « films du milieu ». Catherine Deneuve, c'est elle qui voulait, et Monica Bellucci, c'est mon père qui avait repéré chez elle une vraie humilité, une vraie innocence, un talent plus riche qu'on voulait bien le croire.

§  Propos recueillis par Jacques Mandelbaum 

 
Isabelle Regnier

 
 

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