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Il semble que Kant se heurte à une difficulté redoutable. Nous avons vu qu'il refusait l'idée d'une harmonie préétablie entre le sujet et l'objet : il y substituait le principe d'une soumission nécessaire de l'objet au sujet (34 | 35) lui-même. Mais ne retrouve-t-il pas l'idée d'harmonie, simplement transposée au niveau des facultés du sujet qui diffèrent en nature ? Sans doute cette transposition est-elle originale. Mais il ne suffit pas d'invoquer un accord harmonieux des facultés, ni un sens commun comme résultat de cet accord ; la Critique en général exige un principe de l'accord, comme une genèse du sens commun. (Ce problème d'une harmonie des facultés est tellement important que Kant a tendance à réinterpréter l'histoire de la philosophie dans sa perspective : « Je suis persuadé que Leibniz avec son harmonie préétablie, qu'il étendait à tout, ne songeait pas à l'harmonie de deux êtres distincts, être sensible et être intelligible, mais à l'harmonie de deux facultés d'un seul et même être en lequel sensibilité et entendement s'accordent pour une connaissance d'expérience [1]  ». Mais cette réinterprétation elle-même est ambiguë : elle semble indiquer que Kant invoque un principe suprême finaliste et théologique, de la même manière que ses devanciers. « Si nous voulons juger de l'origine de ces facultés, bien qu'une telle recherche soit tout à fait au-delà des limites de la raison humaine, nous ne pouvons indiquer d'autre fondement que notre divin créateur » [2]  .)

Toutefois, considérons de plus près le sens commun sous sa forme spéculative (sensus communis logicus). Il exprime l'harmonie des facultés dans l'intérêt spéculatif de la raison, c'est-à-dire sous la présidence de l'entendement. L'accord des facultés est ici déterminé par l'entendement, ou, ce qui arrive au même, se fait sous des concepts déterminés de l'entendement. Nous devons (35 | 36) prévoir que, du point de vue d'un autre intérêt de la raison, les facultés entrent dans un autre rapport, sous la détermination d'une autre faculté, de manière à former un autre sens commun : par exemple un sens commun moral, sous la présidence de la raison elle-même. C'est pourquoi Kant dit que l'accord des facultés est capable de plusieurs proportions (suivant que c'est telle ou telle faculté qui détermine le rapport) [3]  . Mais chaque fois que nous nous plaçons ainsi du point de vue d'un rapport ou d'un accord déjà déterminé, déjà spécifié, il est fatal que le sens commun nous paraisse une sorte de fait a priori au-delà duquel nous ne pouvons pas remonter.

Autant dire que les deux premières Critiques ne peuvent pas résoudre le problème originaire du rapport entre les facultés, mais seulement l'indiquer, et nous renvoyer à ce problème comme à une tâche ultime. Tout accord déterminé supose en effet que les facultés, plus profondément, soient capables d'un accord libre et indéterminé [4]  . C'est seulement au niveau de cet accord libre et indéterminé (sensus communis aestheticus) que pourra être posé le problème d'un fondement de l'accord ou d'une genèse du sens commun. Voilà pourquoi nous n'avons pas à attendre de la Critique de la Raison pure, ni de la Critique de la Raison pratique, la réponse à une question qui ne prendra son vrai sens que dans la Critique du Jugement. En ce qui concerne un fondement pour l'harmonie des facultés, les deux premières Critiques ne trouvent leur achèvement que dans la dernière.

[1]   Herz 的信,26 mai 1789.

[2]  同上。

[3]  《判斷力批判》,§ 21.

[4]  同上。


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    遊蕩的哲學: ERRANCE, ERRARE HUMANUM EST, & LES PLAISIRS D'ERRER, ET CAETERA.

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