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機會,要聽得到每一位居民的聲音,要從他們那兒學習到東西,跟他們從其他人那兒學習到的東西一樣多。我們都不能允許在這個國家的內部自行建造出一個外異性,應該要治癒那些悲慘的心態思想,好讓蠶食我們民主社會的根基的疾病能夠病除治癒。
我認為,當妳走在巨量人群之中,應該是這種感覺感動到妳的心靈。就在這奇蹟般的當刻之中,階級的跟民族出身的差異界限,不一樣的宗教信仰差異,那幾道區隔人民的牆在當刻是不存在的。那時,只有唯一一個法蘭西民族,多樣且團結如一,多元且只一顆心在熱動。我期盼,自此日之後,跟著妳在一起的每一男、每一女都能夠繼續在腦海中、在心思中並肩遊行,往後他們的孩子們和他們的孫子們都能夠繼續並肩承續這場大遊行。
勒可雷吉歐(Jean-Marie Gustave Le Clézio),諾貝爾文學獎得主。最近的新書《風暴》(Tempête)(Gallimard, 2014)
中文翻譯:周星星
traduction du français et postée le mardi 20 janvier MMXV
« Lettre à ma fille, au lendemain du 11 janvier 2015 », par JMG Le Clézio
LE MONDE DES LIVRES | 14.01.2015 à 15h57 • Mis à jour le 17.01.2015 à 10h45
Tu as choisi de participer à la grande manifestation contre les attentats terroristes. Je suis heureux pour toi que tu aies pu être présente dans les rangs de tous ceux qui marchaient contre le crime et contre la violence aveugle des fanatiques. J’aurais aimé être avec toi, mais j’étais loin, et pour tout dire je me sens un peu vieux pour participer à un mouvement où il y a tant de monde. Tu es revenue enthousiasmée par la sincérité et la détermination des manifestants, beaucoup de jeunes et des moins jeunes, certains familiers de Charlie Hebdo, d’autres qui ne le connaissaient que par ouï-dire, tous indignés par la lâcheté des attentats. Tu as été touchée par la présence très digne, en tête de cortège, des familles des victimes.
Emue d’apercevoir en passant un petit enfant d’origine africaine qui regardait du haut d’un balcon dont la rambarde était plus haute que lui. Je crois en effet que cela a été un moment fort dans l’histoire du peuple français tout entier, que certains intellectuels désabusés voudraient croire frileux et pessimiste, condamné à la soumission et à l’apathie. Je pense que cette journée aura fait reculer le spectre de la discorde qui menace notre société plurielle.
Il fallait du courage pour marcher désarmés dans les rues de Paris et d’ailleurs, car si parfaite soit l’organisation des forces de police, le risque d’un attentat était bien réel. Tes parents ont tremblé pour toi, mais c’est toi qui avais raison de braver le danger. Et puis il y a toujours quelque chose de miraculeux dans un tel moment, qui réunit tant de gens divers, venus de tous les coins du monde, peut-être justement dans le regard de cet enfant que tu as vu à son balcon, pas plus haut que la rambarde, et qui s’en souviendra toute sa vie.
Cela s’est passé, tu en as été témoin.
Ils ne sont pas des barbares
Maintenant il importe de ne pas oublier. Il importe – et cela revient aux gens de ta génération, car la nôtre n’a pas su, ou n’a pas pu, empêcher les crimes racistes et les dérives sectaires – d’agir pour que le monde dans lequel tu vas continuer à vivre soit meilleur que le nôtre. C’est une entreprise très difficile, presque insurmontable. C’est une entreprise de partage et d’échange.
J’entends dire qu’il s’agit d’une guerre. Sans doute, l’esprit du mal est présent partout, et il suffit d’un peu de vent pour qu’il se propage et consume tout autour de lui. Mais c’est une autre guerre dont il sera question, tu le comprends : une guerre contre l’injustice, contre l’abandon de certains jeunes, contre l’oubli tactique dans lequel on tient une partie de la population (en France, mais aussi dans le monde), en ne partageant pas avec elle les bienfaits de la culture et les chances de la réussite sociale.
Trois assassins, nés et grandis en France, ont horrifié le monde par la barbarie de leur crime. Mais ils ne sont pas des barbares. Ils sont tels qu’on peut en croiser tous les jours, à chaque instant, au lycée, dans le métro, dans la vie quotidienne. A un certain point de leur vie, ils ont basculé dans la délinquance, parce qu’ils ont eu de mauvaises fréquentations, parce qu’ils ont été mis en échec à l’école, parce que la vie autour d’eux ne leur offrait rien qu’un monde fermé où ils n’avaient pas leur place, croyaient-ils. A un certain point, ils n’ont plus été maîtres de leur destin. Le premier souffle de vengeance qui passe les a embrasés, et ils ont pris pour de la religion ce qui n’était que de l’aliénation.
Il faut remédier à la misère des esprits
C’est cette descente aux enfers qu’il faut arrêter, sinon cette marche collective ne sera qu’un moment, ne changera rien. Rien ne se fera sans la participation de tous. Il faut briser les ghettos, ouvrir les portes, donner à chaque habitant de ce pays sa chance, entendre sa voix, apprendre de lui autant qu’il apprend des autres. Il faut cesser de laisser se construire une étrangeté à l’intérieur de la nation. Il faut remédier à la misère des esprits pour guérir la maladie qui ronge les bases de notre société démocratique.
Je pense que c’est ce sentiment qui a dû te frapper, quand tu marchais au milieu de cette immense foule. Pendant cet instant miraculeux, les barrières des classes et des origines, les différences des croyances, les murs séparant les êtres n’existaient plus. Il n’y avait qu’un seul peuple de France, multiple et unique, divers et battant d’un même cœur. J’espère que, de ce jour, tous ceux, toutes celles qui étaient avec toi continueront de marcher dans leur tête, dans leur esprit, et qu’après eux leurs enfants et leurs petits-enfants continueront cette marche.
JMG Le Clézio est Prix Nobel de littérature. Dernier ouvrage paru : Tempête (Gallimard, 2014).
我認為,當妳走在巨量人群之中,應該是這種感覺感動到妳的心靈。就在這奇蹟般的當刻之中,階級的跟民族出身的差異界限,不一樣的宗教信仰差異,那幾道區隔人民的牆在當刻是不存在的。那時,只有唯一一個法蘭西民族,多樣且團結如一,多元且只一顆心在熱動。我期盼,自此日之後,跟著妳在一起的每一男、每一女都能夠繼續在腦海中、在心思中並肩遊行,往後他們的孩子們和他們的孫子們都能夠繼續並肩承續這場大遊行。
勒可雷吉歐(Jean-Marie Gustave Le Clézio),諾貝爾文學獎得主。最近的新書《風暴》(Tempête)(Gallimard, 2014)
中文翻譯:周星星
traduction du français et postée le mardi 20 janvier MMXV
« Lettre à ma fille, au lendemain du 11 janvier 2015 », par JMG Le Clézio
LE MONDE DES LIVRES | 14.01.2015 à 15h57 • Mis à jour le 17.01.2015 à 10h45
Tu as choisi de participer à la grande manifestation contre les attentats terroristes. Je suis heureux pour toi que tu aies pu être présente dans les rangs de tous ceux qui marchaient contre le crime et contre la violence aveugle des fanatiques. J’aurais aimé être avec toi, mais j’étais loin, et pour tout dire je me sens un peu vieux pour participer à un mouvement où il y a tant de monde. Tu es revenue enthousiasmée par la sincérité et la détermination des manifestants, beaucoup de jeunes et des moins jeunes, certains familiers de Charlie Hebdo, d’autres qui ne le connaissaient que par ouï-dire, tous indignés par la lâcheté des attentats. Tu as été touchée par la présence très digne, en tête de cortège, des familles des victimes.
Emue d’apercevoir en passant un petit enfant d’origine africaine qui regardait du haut d’un balcon dont la rambarde était plus haute que lui. Je crois en effet que cela a été un moment fort dans l’histoire du peuple français tout entier, que certains intellectuels désabusés voudraient croire frileux et pessimiste, condamné à la soumission et à l’apathie. Je pense que cette journée aura fait reculer le spectre de la discorde qui menace notre société plurielle.
Il fallait du courage pour marcher désarmés dans les rues de Paris et d’ailleurs, car si parfaite soit l’organisation des forces de police, le risque d’un attentat était bien réel. Tes parents ont tremblé pour toi, mais c’est toi qui avais raison de braver le danger. Et puis il y a toujours quelque chose de miraculeux dans un tel moment, qui réunit tant de gens divers, venus de tous les coins du monde, peut-être justement dans le regard de cet enfant que tu as vu à son balcon, pas plus haut que la rambarde, et qui s’en souviendra toute sa vie.
Cela s’est passé, tu en as été témoin.
Ils ne sont pas des barbares
Maintenant il importe de ne pas oublier. Il importe – et cela revient aux gens de ta génération, car la nôtre n’a pas su, ou n’a pas pu, empêcher les crimes racistes et les dérives sectaires – d’agir pour que le monde dans lequel tu vas continuer à vivre soit meilleur que le nôtre. C’est une entreprise très difficile, presque insurmontable. C’est une entreprise de partage et d’échange.
J’entends dire qu’il s’agit d’une guerre. Sans doute, l’esprit du mal est présent partout, et il suffit d’un peu de vent pour qu’il se propage et consume tout autour de lui. Mais c’est une autre guerre dont il sera question, tu le comprends : une guerre contre l’injustice, contre l’abandon de certains jeunes, contre l’oubli tactique dans lequel on tient une partie de la population (en France, mais aussi dans le monde), en ne partageant pas avec elle les bienfaits de la culture et les chances de la réussite sociale.
Trois assassins, nés et grandis en France, ont horrifié le monde par la barbarie de leur crime. Mais ils ne sont pas des barbares. Ils sont tels qu’on peut en croiser tous les jours, à chaque instant, au lycée, dans le métro, dans la vie quotidienne. A un certain point de leur vie, ils ont basculé dans la délinquance, parce qu’ils ont eu de mauvaises fréquentations, parce qu’ils ont été mis en échec à l’école, parce que la vie autour d’eux ne leur offrait rien qu’un monde fermé où ils n’avaient pas leur place, croyaient-ils. A un certain point, ils n’ont plus été maîtres de leur destin. Le premier souffle de vengeance qui passe les a embrasés, et ils ont pris pour de la religion ce qui n’était que de l’aliénation.
Il faut remédier à la misère des esprits
C’est cette descente aux enfers qu’il faut arrêter, sinon cette marche collective ne sera qu’un moment, ne changera rien. Rien ne se fera sans la participation de tous. Il faut briser les ghettos, ouvrir les portes, donner à chaque habitant de ce pays sa chance, entendre sa voix, apprendre de lui autant qu’il apprend des autres. Il faut cesser de laisser se construire une étrangeté à l’intérieur de la nation. Il faut remédier à la misère des esprits pour guérir la maladie qui ronge les bases de notre société démocratique.
Je pense que c’est ce sentiment qui a dû te frapper, quand tu marchais au milieu de cette immense foule. Pendant cet instant miraculeux, les barrières des classes et des origines, les différences des croyances, les murs séparant les êtres n’existaient plus. Il n’y avait qu’un seul peuple de France, multiple et unique, divers et battant d’un même cœur. J’espère que, de ce jour, tous ceux, toutes celles qui étaient avec toi continueront de marcher dans leur tête, dans leur esprit, et qu’après eux leurs enfants et leurs petits-enfants continueront cette marche.
JMG Le Clézio est Prix Nobel de littérature. Dernier ouvrage paru : Tempête (Gallimard, 2014).
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