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« A PRIORI » ET TRANSCENDANTAL. ── Les critères de l'a priori sont le nécessaire et l'universel. L'a priori se définit comme indépendant de l'expérience, mais précisément parce que l'expérience ne nous « donne » jamais rien qui soit universel et nécessaire. Les mots « tous », « toujours », « nécessairement » ou même « demain », ne renvoient pas à quelque chose dans l'expérience : ils ne dérivent pas de l'expérience, même s'ils s'appliquent à elle. Or, quand nous connaissons, nous employons ces mots : nous disons plus que ce qui nous est donné, nous dépassons les données de l'expérience. ── On a souvent parlé de l'influence de Hume sur Kant. Hume, en effet, fut le premier à définir la connaissance par un tel dépassement. Je connais, non pas quand je constate « j'ai vu mille fois le soleil se lever », mais quand je juge « le soleil se lèvera demain », « toutes les fois où l'eau est à 100°, elle entre nécessairement en ébullition »...

Kant demande d'abord : quel est le fait de la connais- (19 | 20) sance  (quid facti) ? Le fait de la connaissance, c'est que nous avons des représentations a priori (grâce auxquelles nous jugeons). Soit de simples « présentations » : l'espace et le temps, formes a priori de l'intuition, intuitions elles-mêmes a priori, qui se distinguent des présentations empiriques ou des contenus a posteriori (par exemple, la couleur rouge). Soit, à proprement parler, des « représentations » : la substance, la cause, etc., concepts a priori qui se distinguent des concepts empiriques (par exemple, le concept de lion). La question Quid facti ? est l'objet de la métaphysique. Que l'espace et le temps soient des présentations ou intuitions a priori, tel est l'objet de ce que Kant appelle « l'exposition métaphysique » de l'espace et du temps. Que l'entendement dispose de concepts a priori (catégories), qui se déduisent des formes du jugement, tel est l'objet de ce que Kant appelle « la déduction métaphysique » des concepts.

Si nous dépassons ce qui nous est donné dans l'expérience, c'est en vertu de principes qui sont les nôtres, principes nécessairement subjectifs. Le donné ne peut pas fonder l'opération par laquelle nous dépassons le donné. Toutefois, il ne suffit pas que nous ayons des principes ; encore faut-il que nous ayons l'occasion de les exercer. Je dis « le soleil se lèvera demain », mais demain ne devient pas présent sans que le soleil ne se lève effectivement. Nous perdrions vite l'occasion d'exercer nos principes, si l'expérience elle-même ne venait pas confirmer, et comme remplir nos dépassements. Il faut donc que le donné de l'expérience soit lui-même soumis à des principes du même genre que les principes subjectifs qui règlent nos démarches. Si le soleil tantôt se levait et tantôt ne se levait pas ; « si le cinabre était tantôt rouge, tantôt noir, tantôt léger, tantôt lourd ; si un homme se (20 | 21) transformait tantôt en un animal et tantôt en un autre ; si dans un long jour la terre était tantôt couverte de fruits, tantôt de glace et de neige, mon imagination empirique ne trouverait pas l'occasion de recevoir dans la pensée le lourd cinabre avec la représentation de la couleur rouge... » ; « notre imagination empirique n'aurait jamais rien à faire qui fût conforme à sa puissance, et par conséquent elle demeurerait enfouie dans le fond de l'esprit comme une faculté morte et inconnue à nous-mêmes » [1]  .

On voit sur quel point se fait la rupture de Kant avec Hume. Hume avait bien vu que la connaissance impliquait des principes subjectifs, par lesquels nous dépassions le donné. Mais ces principes lui semblaient seulement des principes de la nature humaine, principes psychologiques d'association concernant nos propres représentations. Kant transforme le problème : ce qui se présente à nous de manière à former une Nature doit nécessairement obéir à des principes du même genre (bien plus, aux mêmes principes) que ceux qui règlent le cours de nos représentations. Ce sont les mêmes principes qui doivent rendre compte de nos démarches subjectives, et aussi du fait que le donné se soumet à nos démarches. Autant dire que la subjectivité des principes n'est pas une subjectivité empirique ou psychologique, mais une subjectivité « transcendantale ».

C'est pourquoi, à la question de fait, succède une plus haute question : question de droit, quid juris ? Il ne suffit pas de constater que, en fait, nous avons des représentations a priori. Il faut encore que nous expliquions (21 | 22) pourquoi et comment ces représentations s'appliquent nécessairement à l'expérience, elles qui n'en dérivent pas. Pourquoi et comment le donné qui se présente dans l'expérience est-il nécessairement soumis aux mêmes principes que ceux qui règlent a priori nos représentations (donc soumis à nos représentations a priori elles-mêmes) ? Telle est la question de droit. ── A priori désigne des représentations qui ne dérivent pas de l'expérience. Transcendantal désigne le principe en vertu duquel l'expérience est nécessairement soumise à nos représentations a priori. C'est pourquoi, à l'exposition métaphysique de l'espace et du temps, succède une exposition transcendantale. Et à la déduction métaphysique des catégories, une déduction transcendantale. « Transcendantal » qualifie le principe d'une soumission nécessaire des données de l'expérience à nos représentations a priori, et corrélativement d'une application nécessaire des représentations a priori à l'expérience.


[1]  《純粹理性批判》,Analytique, 1re éd., « de la synthèse de la reproduction dans l'imagination ».

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    遊蕩的哲學: ERRANCE, ERRARE HUMANUM EST, & LES PLAISIRS D'ERRER, ET CAETERA.

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