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,,,,,,,,,,,,,,《派特森》坎城影展




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« Paterson » : vers libres et lignes de bus

LE MONDE | 17.05.2016 à 10h26 |

Par Thomas Sotinel

Les artistes se moquent des journalistes qui leur demandent : « D’où vous est venue l’idée ? » Enfin, pas tous les artistes. Jim Jarmusch vient de présenter à Cannes un film modeste et délicat, presque tout entier consacré à la question. Paterson, son personnage central, est un chauffeur de bus qui trimbale comme patronyme le nom de la ville dont il parcourt les rues. Mais est-ce un chauffeur de bus ? Il écrit de la poésie.

Paterson, le film, est divisé en sept journées, qui commencent chacune par le réveil de Paterson (Adam Driver) au côté de son amour Laura (Golshifteh Farahani). Ils se disent des mots doux, elle commence à vaquer à ses occupations – qui impliquent généralement de repeindre un élément du foyer en noir et blanc – pendant qu’il prend le chemin du dépôt de bus, où il écrit dans son carnet.

Ombres chinoises

Les poèmes de Paterson (qui sont en fait de la plume de Ron Padgett) se nourrissent d’un rapport au réel, d’une simplicité apparente qui furent aussi ceux d’un autre natif du New Jersey, William Carlos Williams, géant de la poésie américaine et auteur d’un recueil intitulé… Paterson. Chaque journée du chauffeur est nourrie par les bribes de conversations des passagers, par ses soirées au bar et surtout par ses journées avec Laura, qui elle aussi déborde d’énergie créatrice – c’est juste qu’elle n’est pas très talentueuse.

Ce faisant, Jarmusch renoue avec le minimalisme de ses premiers films, pour tenter de saisir ce moment où le réel se cristallise pour devenir œuvre d’art. Certes, le noir et blanc a cédé la place à une palette automnale, le New York déglingué des années 1980 à une cité postindustrielle du XXIe siècle. Mais demeure cette manière de transformer les personnages en ombres chinoises, dont le spectateur est chargé d’imaginer les volumes, les couleurs, le motif central.

Dans Paterson, il a les traits vigoureux et le regard mélancolique d’Adam Driver. L’acteur révélé par la série « Girls » se tient au strict nécessaire quand il s’agit d’exprimer des émotions – son scepticisme face aux créations de sa compagne ou à l’égard de son bouledogue, Marvin.

Lorsque, vers la fin du film, un choc arrive enfin, Adam Driver fait un poète tourmenté comme on n’en a jamais vu, qui trouvera un havre comme seul Jarmusch peut en imaginer. Cette imagination vaut cent fois plus que les petits travers de Paterson, le recours au chien comme comparse comique, le vague relent de sexisme et la naïveté un peu forcée qui entourent le personnage de Laura.

Ce dont on se souviendra, c’est la belle rencontre entre l’écrivain et une enfant-poète, les méditations du chauffeur devant les chutes de la rivière Passaic, pendant qu’à l’écran s’inscrivent des vers simples et irréfutables.

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